jeudi 3 janvier 2013

LUC FERRARI


Luc Ferrari, né le 5 février 1929 à Paris et mort le 22 août 2005 à Arezzo en Italie, est un compositeur français. 

Apprenti de la musique dès son plus jeune âge, Luc Ferrari poursuit ses études de composition et de piano jusqu’à ce qu’une tuberculose dans sa jeunesse interrompe sa carrière pianistique ; il se concentre désormais sur la composition. Pendant cette maladie il a l’occasion d’apprendre par voie de radio, à connaître les novateurs comme Schönberg, Berg, Webern et autres qui le confortent dans sa soif de prendre des distances vis-à-vis des enseignements de ses premiers conservatoires. 

Participant de 1954 à 1958 aux cours d’été de Darmstadt, il noue des rencontres amicales avec Karlheinz Stockhausen, Luigi Nono, Luciano Berio, Henri Pousseur, John Cage. Ce dernier, avec Edgard Varèse, et ensuite Pierre Schaeffer, le fortifient encore davantage dans son besoin de briser les barrages qu’imposent les traditions musicales jusqu’alors. Des dogmes, il ne peut qu’en sortir. 

Bouleversé par « Déserts » d’Edgard Varèse qu’il écoute également à la radio, il décide immédiatement en 1954 de lui rendre visite à New York. Il profite de ce voyage de plusieurs semaines sur un cargo pour poursuivre ses compositions pour piano. 

Son attirance pour la musique concrète et sa collaboration avec Pierre Schaeffer de 1957 à 1966 le conduisent à vouloir élargir la notion même de la musique abstraite, à vouloir déchirer les membranes entre les genres. Il fête l’arrivée des premiers magnétophones portables grâce auxquels il sort des studios pour recueillir les matières pour sa pièce Hétérozygote - sa première composition qu’il appelle - avec un sourire - « musique anecdotique » - : «Je veux absolument que le geste d’aller enregistrer soit l’entrée dans le social. » 

Assurément, cette composition de 1963-64, révèle bien son esprit de liberté. Aussi toute son œuvre désormais démontre son attention profonde pour la société, son caractère d’ouverture tous azimut, d’où ses créations dans les domaines les plus divers comme les films ; les écrits, installations ; œuvres symphoniques ou pour ensemble ; œuvres dans lesquelles il associe instruments et son fixé qu’il appelle SM = Son Mémorisé ; concerts-spectacle ; œuvres multimédia ; œuvres électroacoustiques ; Hörspiele (compositions radiophoniques) et aussi, à partir de 1999, travail avec des DJ expérimentaux et improvisation, Dj Olive & Erikm. En dehors de ses dispositions pour le mélange des genres, la sensualité, l’humour, la narration, la perversion, l’anecdotique dont ses œuvres sont parcourues, s’y traduisent de façon quasi constante aussi sa révolte, son désir et son amour de la vie. 

Avec les films de 1965-66 pour le Service de la Recherche de l'O.R.T.F, Les grandes répétitions (INA) réalisés avec Gérard Patris, qui cernent l’esprit des compositeurs et innovateurs comme Messiaen, Stockhausen, Varèse, Hermann Scherchen, Cecil Taylor, ce fut la première fois que la télévision française montre l’élaboration d’œuvres contemporaines. Ce sont des documents uniques et convoités dans le monde entier de la musique.


Les Concepts 

Un autre tournant dans la musique fut pour Ferrari : Presque Rien ou Le Lever du jour au bord de la mer. Cette pièce illustre ou plutôt insinue sans le savoir, une démarche minimaliste dont on parlera beaucoup dans les années qui suivent. 

Concept de l’unité 

En effet, le Presque Rien N° 1 ou Le lever du jour au bord de la mer, composé entre 1967 et 1970, est une composition qui matérialise la rupture avec les pratiques électroacoustiques classiques. Elle revendique clairement (plus directement encore que ce qui a été appelé après Hétérozygote, les musiques anecdotiques), le plan-séquence et l'image sonore fixe, sorte de diapositive qui donnerait à entendre une tranche de réel, comme méthode de travail, et comme moyen de se libérer des habitudes. " « Au départ, le concept des Presque Rien n’a rien à voir avec la musique. Il faut se transporter dans l’époque ; dans les années 60 on disait, le bruit d’un côté, la musique de l’autre. » " Ferrari ne s’est pas laissé prendre à ce jeu. Pour lui, il s’agit de faire quelque chose issu d’un grand désir sans se soucier si cette chose entrait dans une catégorie. Le concept à son avis, ne peut se définir comme genre, comme esthétique ou comme technique mais comme idée. C’est-à-dire que le concept au départ ne peut se comprendre physiquement, mais plutôt comme une impression générale que l’on donne à un corps. Ce concept comprend : - un seul lieu – un seul temps – une certaine acoustique -, ingrédients qu’il développe d’un Presque Rien à l’autre. 

Concept de la narration (Presque Rien N° 2 – Ainsi continue la nuit dans ma tête multiple) 

L’une des principales caractéristiques des Presque Rien est la narration, Non pas dans le sens de raconter une histoire mais plutôt de rendre perceptible le temps indiquant que quelque chose se passe à un endroit. Contrairement aux paysages sonores où le lieu est perceptible, les éléments qu’il utilise et qu’il désigne comme le son du quotidien, incitent, par le concept d’une histoire minimale et non une histoire événementielle, à un voyage dans le temps ; c’est le hasard des sons du quotidien consistant en une substance et appartenant aux gestes quotidiens qui construit le temps. L’intention de raconter est là, mais reste floue. 

Concept du mensonge ou la perversion (Presque Rien avec filles) 

Le concept du mensonge séduit Ferrari et, le fait de le nommer est presque une provocation. C’est dans ce sens que l’on peut aussi utiliser la notion de la perversion. Un concept est relativement abstrait, mais il s’anime avec la modification par le temps. C’est ce qu’il appelle perversion. Puisque c’est lui qui l’a inventé, il n’a aucune raison de rester fidèle à son concept. S’il y a fidélité, c’est celle de sa recherche d’une certaine acoustique. 

Concept de la beauté (Presque Rien N° 4) 

Ferrari a cru longtemps et, l’époque aidant, que la beauté était un concept du passé, comme un attribut un peu guimauve et superflu. Il croit dorénavant au contraire, que nous devons nous occuper de la beauté, qu’elle est indispensable à notre réflexion. Ou bien n’avons-nous plus le temps de nous occuper de la beauté parce que la laideur nous horripile ? Vivant depuis quelques années dans une banlieue où tout est laid, déplacé, inharmonique, son sens pour l’harmonie et la beauté lui paraît alors comme une nécessité et nullement comme une bagatelle ou d’une importance secondaire. 

Concept de la disparition (Presque Rien N° 5, - Presque Rien avec instruments) 

En effet, les Presque Rien sont à la recherche de la beauté du son, de l’harmonie du son. À la recherche de l’harmonie des relations et des temps. Disparition de la narration. Disparition de l’enregistrement comme souvenir d’un lieu ou d’une situation. Reste une sorte de rapport, une présentation de quelques rares éléments un peu comme une raréfaction et, comment ils trouvent leur place dans le temps. Dans Presque Rien N° 5 il s’agit de l’histoire du jeu des objets musicaux. 

Exploitation des Concepts 

« Depuis l'automne 99, j'ai entrepris la composition d'une nouvelle série d'œuvre dont le titre général est Exploitation des Concepts. Il s'agit justement, d'utiliser les concepts expérimentés durant toute ma vie de compositeur, et ceci dans toutes les directions possibles. » 

Archives sauvées des Eaux (2000) 

Exploitation des Concepts 1 (pour 2 CD et un ensemble de vinyles) "L'idée d'utiliser mes archives est née d'une nécessité d'actualiser le support même de ces mémoires – après avoir subi une inondation dans mon Atelier. J'ai en effet des bandes analogiques dans mon atelier qui représentent tous les enregistrements que j'ai faits depuis 1960 et dont je me suis ou non servi. En copiant sur CD ces éléments j'ai été pris de désir de transformer ce travail fastidieux en travail créatif. Et au lieu de copier, je me suis mis à composer." 

Cycle des souvenirs (1995 - 2000) 

Exploitation des Concepts 2 (Installation son et image pour 6 lecteurs de CD et 4 projecteurs vidéo) - (durée indéterminée) "L'utilisation des souvenirs n'est pas une chose nouvelle pour moi qui suis un récidiviste de l'autobiographie. Ce qui est différent ici, c'est l'installation du son et de l'image. De la même manière que je suis un compositeur-preneur de son, je suis là un compositeur preneur d'image. Le cycle des souvenirs signifie aussi que tous les éléments sont architecturés en cycles qui, en se superposant, produisent des rencontres hasardeuses. C'est pour cela que tout est tournant. " 

Archives Génétiquement Modifiées (2000) 

Exploitation des Concepts 3 (sons mémorisés solo) "Une relecture de mes éléments de travail des années 70 m'a entraînée dans le désir de faire du neuf, sans nostalgie et sans allégeance au passé. C'est aussi l'idée d'exploitation qui m'a donné une liberté très grande et une désinvolture par rapport aux concepts. En effet quand j'en parle il ne s'agit pas de faire reconnaître le concept comme cela se faisait à l'origine, mais d'en retrouver l'idée trente ans après, et comme il se frotte aux autres expériences vécues, comme il se déforme ou prend forme autrement. Ou disparaît. Il s'agit même peut-être d'utiliser de manière provocante de mot "exploitation" comme concept, mais avec légèreté. D'ailleurs je me sens le doit d'exploiter mes idées aussi bien que mes sons. J'écoute, et je fabrique du présent riche d'une certaine mémoire. Ainsi ces archives sont profondément et même peut-être génétiquement modifiées." 

Tautologies et Environs (2000 - 2001) 

Exploitation des Concepts 4 pour 14 instruments amplifiés et sons mémorisés Les "Exploitations des concepts 1, 3 et 4", utilisent pour les sons mémorisées les mêmes éléments mais différemment montés et profondément modifiés. Ici la composition orchestrale qui exploite les idées de tautologie, donne un aspect totalement neuf au son mémorisé. Les idées de tautologie exploitées à l'orchestre sont aussi entendues comme nouvelles, surtout si on se réfère aux "Tautologos" du passé." 

Exploitation du concept d'autobiographie 

"J'ai depuis le début, composé autant de pièces instrumentales ou orchestrales qu'électroacoustiques ou acousmatiques. Pour plus de clarté et pour m'approcher plus précisément de mon sujet, je ne parlerais ici que des œuvres électroacoustiques ou, plus généralement utilisant la technologie. D'abord inconsciemment et de plus en plus consciemment, je me suis rendu compte que je travaillais dans le domaine autobiographique.

C'est donc rétrospectivement que je peux parler du moment où je suis entré dans ce concept. C'est vers 1962 alors que je travaillais au projet d'une pièce électroacoustique : Hétérozygote, que cela est arrivé. Je vais donc essayer d'expliquer comment le simple geste de sortir du studio pour chercher des sons à l'extérieur était significatif. Je sortais donc avec un matériel portable qui était ma propriété, c'est-à-dire mes micros et mon magnétophone. C'était mon matériel et c'était moi.

Qu'on le veuille où non, j'étais là dans une situation originale de présence et de reconnaissance instrumentale qui faisait de moi, sans que je m'en rende compte, un artisan de l'autobiographie. J'étais présent, je tenais mon micro, j'ouvrais l'enregistrement de mon magnétophone quand je le jugeais bon, je cueillais le son qui passait au moment où je le choisissais. Ce son était mon choix, mon moment de vie qui s'enregistrait sur mon matériel. Autrement dit, pour le cas où la dernière phrase ne serait pas claire, ce geste était compositionnel dans la reconnaissance du son, même indécis, reconnaissant l'objet trouvé comme premier état d'une attitude émotionnelle, qui entraînait inéluctablement l'introduction du compositeur présent comme acteur en temps réel, donc comme autobiographe. "

C’est dans cet esprit que sont nés les Hörspiele (compositions radiophoniques) pour le Südwestrundfunk et le Hessischer Rundfunk

Luc Ferrari voulait rester jeune. La vie de ce jeune homme de 76 ans s’est arrêtée à Arezzo le 22 août 2005. 

OEUVRE PRINCIPALES DE LUC FERRARI :

- Suite pour piano (1952)
- Antisonate (1953)
- Suite Hétéroclite (1955)
- Visage I (1956)
- Acousmatrix
- Étude aux Accidents (1958)
- Étude aux Sons Tendus (1958)
- Étude floue (1958)
- Visage V (1958/59)
- Tête et Queue du Dragon (1959-60)
- Passage pour Mimes (1959)
- J'ai été coupé (1960-69)
- Tautologos I (1961)
- Tautologos II (1961)
- Und So Weiter pour piano et bande magnétique (1965-66)
- Hétérozygote (1963-64)
- Music Promenade (1964-69)
- Interrupteur (1967)
- Société II (1967)
- Tautologos III (1969)
- Presque Rien
- Presque Rien N°1 - le lever du jour au bord de la mer (1967-70) 
- Presque Rien N°2 - ainsi continue la nuit dans ma tête multiple (1977) 
- Unheimlich Schön (1971)
- Programme Commun (1972)
- Danses organiques (1971-73)
- Ephémère I & II (1974) pour bande magnétique et instrumentation indéterminée 
- Petite Symphonie Intuitive pour un Paysage de Printemps (1973-74)
- Cellule 75 (1975)
- Place des Abbesses (1977)
- Exercices d'Improvisation (1977)
- Chantal ou le Portrait d'une Villageoise (1977-1978), pour bande magnétique stéréo
- Promenade Symphonique dans un Paysage Musical ou Un jour de fête à El Oued en 1976 (1976-78)
- Histoire du Plaisir et de la Désolation (1979-81)
- Fragments du Journal Intime (1980-82)
- Sexolidad (1982-83)
- Dialogue Ordinaire avec la Machine (1984)
- Patajaslotcha (1984) Pièce composée pour Le Bal de la Contemporaine spectacle de Pabo Cueco
- Collection de Petites Pièces ou 36 Enfilades pour piano et magnétophone (1985)
- Strathoven (1985)
- Et si tout entière maintenant (1986-87)
- Conte symphonique. (Prix Italia 1987) - Texte de Colette Fellous
- Presque Rien avec filles (1989)
- Comme une Fantaisie dite des Réminiscences (1989-91)
- L'Escalier des Aveugles (1991)
- Comedia dell'amore 224 (1992)
- Un Drame Musical Instantané "Opération Blow Up" 1992
- Madame de Shanghai (1996), Pour 3 flûtes et son mémorisé
- Selbstportrait oder Peinture de Sons ou bien Tonmalerei (1996-97)
- Presque Rien N°4 (1990-98)
- Far-West News
- Far-West News Episode N°1 (1998-99)
- Far West News Episode 2 (mai 1999)
- Far West News Episode 3 (juin 1999)
- Jeu du Hasard et de la Détermination (1999)
- Cycle des Souvenirs - Exploitation des Concepts N°2 (1995-2000)
- Archives sauvées des Eaux - Exploitation des Concepts N°1, 2, 3 (2000)
- Archives Génétiquement Modifiées (2000)- SM
- Impro-Micro-Acoustique (2001)
- Les Anecdotiques - Exploitation des Concepts N°6 (2002)
- Saliceburry Cocktail (2002)
- Rencontres Fortuites (2003) pour alto, piano et SM.
- Les Arythmiques (2003) - électroacoustique
- Didascalies (2004) pour alto et piano
- Didascalies 2 ou Trois Personnages en Quête de Notes (2005)
- Les ProtoRythmiques (2007)
- Tranquilles Impatiences (2010)


Voici deux pièces significatives de ce compositeur prolifique...

Étude aux Sons Tendus (1958)

Programme Commun (1972)

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