La musique concrète ou musique acousmatique est un genre musical dont les fondations théoriques et esthétiques ont été développées en France par Pierre Schaeffer dans les années 1940 pour la démarche concrète et l'écoute acousmatique, puis par François Bayle vers 1973 pour sa compréhension en tant que musique acousmatique.
Michel Chion continuera à défendre le terme premier de musique concrète, mais comme art des sons fixés insistant sur la dépendance de ce genre musical au phénomène de l'enregistrement et de l'écoute via des haut-parleurs, tandis que Denis Dufour, conscient de la nécessité d'élargir le champ des créations issues d’une réalisation en studio fixée sur support audio et livrée à l’écoute sur haut-parleurs, regroupe l'ensemble de ces pratiques dans ce qu'il nomme dès 1982 “art acousmatique". Ce genre se développera dans les pays francophones (France, Belgique, Canada), en Europe, en Amérique du Sud, au Royaume-Uni…
De façon plus large, l’électroacoustique recouvre l’ensemble des genres musicaux faisant usage de l’électricité dans la conception et la réalisation des œuvres. Ainsi sont électroacoustiques les œuvres de support (art acousmatique), les œuvres pour instruments ou corps sonores amplifiés (à condition que cette amplification intervienne de manière décisive dans l’esthétique et les choix de composition), les œuvres mixtes (mêlant instruments et piste sonore sur support), les œuvres live electronic (pour synthétiseurs en direct, instruments acoustiques avec dispositif de transformation électronique ou numérique en temps réel), les installations sonores interactives, etc.
L'expression de musique acousmatique est utilisée pour signifier la dématérialisation de la source sonore, l'abolition de la dépendance à l'événement visible (tout corps sonore, instrument, synthétiseur, ordinateur, etc., joués « en direct ») et l'abstraction sonore (qui ne lui est toutefois pas exclusive). La musique acousmatique peut cependant être associée à des éléments visuels (lumières, installations plastiques, décors divers…) sur lesquels l'auditeur, s'il n'écoute pas déjà les yeux fermés, puisse fixer son regard. On peut également « voir » l'interprète acousmatique, et sa console de projection, mis en valeur, qu'il soit situé au centre de la salle ou, plus rarement, sur scène.
Plus généralement, l’art acousmatique regroupe les musiques concrètes ou acousmatiques, les créations radiophoniques et Hörspiele, les musiques acousmatiques d’application (musiques pour le théâtre, la danse, le cinéma, la vidéo…), les installations sonores travaillées sur support audio diffusé sur haut-parleur (dont la conception visuelle n’installe pas de rapport direct de cause à effet avec le résultat sonore entendu), une certaine frange des musiques populaires dites électroniques issues d’une réalisation en studio fixée sur support et livrée à l’écoute seule. Enfin, certaines réalisations de poésie sonore pour celles qui se rapprochent de la création radiophonique.
Qu’est-ce que la musique concrète ou acousmatique ?
Le compositeur de musique concrète/acousmatique travaille directement sur le son même (en l'écoutant au travers des haut-parleurs) afin de réaliser et finaliser lui-même sa création. Le terme de « musique concrète », en cela, s'oppose à celui de « musique abstraite » — musique qui nécessite le concours d'un médium (comme la partition) et d'interprètes pour concrétiser l'œuvre conçue par son auteur.
Certains voient les prémices de la musique concrète chez les bruitistes italiens (comme Luigi Russolo), mais la différence fondamentale entre le bruitisme (manifestant, certes, une écoute du monde des bruits comme musique mais se réalisant par la fabrication de bruiteurs…) et la musique concrète est l'enregistrement (la fixation des sons), puis le travail du son permis par les supports, d'abord sur disque souple, puis sur bande magnétique, K7, enfin CD, mini disc, disque dur, DAT… et, surtout, son écoute au travers des haut-parleurs considérés, dans ce genre musical, comme un écran acoustique où sont mises en scène les images sonores.
C'est pourquoi on dit que l'art acousmatique est un art de support. Ce support est au musicien « concret » ce que la pierre est au sculpteur, la toile au peintre, l’épreuve au photographe, la pellicule au cinéaste. Comme le sculpteur son matériau, il taille dans la matière des sons, il construit, il détourne, souvent. Comme le peintre ses couleurs, il juxtapose, il mélange, il transforme, il compose. Comme le photographe, il saisit, il cadre, il éclaire, il surimprime. Comme le cinéaste enfin, il régit le temps, il crée le mouvement, il monte, il oppose, jouant de la répétition et de l’attente, de la continuité et de la rupture, de la fluidité et du heurt.
C'est à partir de prises de son que le compositeur constitue son matériau : d'origine acoustique, il peut être issu de jeux sur des dispositifs choisis pour leur aptitude à « sonner » (des corps sonores), d’univers habités évènements caractéristiques, de parcours, de gestes ou de séquences jouées à dessein, voire de sons « figuratifs », « anecdotiques », évocateurs ou de jeux sur des instruments traditionnels ou « exotiques » ; synthétique, il peut être constitué de sons ou de séquences électroniques jouées au synthétiseurs, ou numériques, issues d’une programmation logicielle ou de transformations immédiates d’évènements sonores. On y trouve aussi des ambiances quotidiennes souvent détournées de leur signification.
Tout d'abord, les œuvres ont été composées sur disques souples. Le compositeur préparait ses disques sur lesquels il enregistrait ses sons et ses séquences, puis les plaçait sur plusieurs platines (Pierre Henry parle de huit plateaux), jouant avec des systèmes de clefs. Ainsi il pouvait démarrer et stopper à volonté chaque platine, commencer le son ou la séquence à l'endroit de son choix, faire des variations d'intensité, de vitesse ou encore inverser le sens de rotation du plateau pour lire le son « à l'envers », etc. Chaque plateau était équipé de manivelles permettant glissandos et transpositions. Tous ces plateaux tournaient, contrôlés par celui qui était tout à la fois le compositeur et l'instrumentiste interprète de sa propre musique en train de se faire, pendant qu'une autre platine gravait le résultat, qu'on appelait mixage.
Le temps de réalisation, pour ces compositeurs qui avaient acquis tout le savoir faire propre à la musique contemporaine, n'était ni plus long ni plus coûteux que pour ceux qui composaient sur partition et faisaient jouer leurs œuvres par des formations instrumentales.
Le magnétophone va faciliter la création « concrète » en apportant une plus grande précision dans le travail de montage, puisqu'on peut couper la bande et recoller les morceaux, et du mixage car on peut préparer sur plusieurs magnétophones des voies de mixage synchronisées entre elles en mesurant les longueurs de bande magnétique. Toutes les opérations possibles sur platine disque se retrouveront sur magnétophone : variation de vitesse, rotation des plateaux à la main, lecture des sons à l'envers (en retournant le morceau de bande magnétique et non plus en inversant le sens de rotation du moteur), etc. Cet outil va également permettre de mieux prévoir le temps et la forme de la composition fixée sur support, même si les « trouvailles » dues aux expérimentations et au goût du créateur pour le détournement des machines de la radio à des fins artistiques continueront de jouer un rôle important dans ce qu'on appelle la « démarche concrète ».
Pour peu donc, qu’il porte en lui un monde sonore suffisamment riche, son savoir-faire, sa sensibilité, son intuition, son goût du jeu lui dictent les détails de son travail au fur et à mesure qu'il l’entend : en un constant aller retour du faire à l’entendre, il élabore ainsi progressivement son œuvre, dans une démarche qui tient autant de la volonté, d’un projet préalable de composition (le choix d’une thématique, d’un univers sonore, d’une « grande forme », d’un découpage) que de la sensibilité, rendant possible l’invention d’une « écriture » par l'exploitation des synchronismes, des accidents, des contrastes, des similitudes, des diffractions, des convergences. Rigueur et liberté, sens de la construction et goût du geste, volonté et disponibilité sont des qualités également nécessaires pour parvenir à une œuvre cohérente, qui, au-delà de la surprise, captive et accroche l’écoute.
Enfin, comme le cinéaste, il projette ensuite son œuvre devant le public à travers un dispositif de projection du son : un orchestre composé de haut-parleurs de différentes « couleurs » et de différentes puissances, disséminés dans l'espace du concert, de la galerie, du musée, du lieu public selon qu’il a choisi de composer pour le concert, l’installation sonore ou tout autre forme d’expression acousmatique.
À travers ce qu’on peut appeler une interprétation (des choix d’implantation, une spatialisation, un jeu sur les intensités et les couleurs, des filtrages) il rend son œuvre accessible au public, désormais livré au seul empire de l’écoute…
HISTORIQUE
C’est grâce à l'arrivée des techniques d'enregistrement, d'abord le disque souple puis le magnétophone (1939) et la bande magnétique, puis la généralisation de l’utilisation des procédés magnétiques dans l’industrie phonographique (1945), que les tenants de la musique concrète pourront commencer l’exploration du phénomène sonore.
En 1948 Pierre Schaeffer, animateur d'une petite équipe de recherche au sein de la Radiodiffusion française, invente une nouvelle forme d’expression artistique qu’il appellera lui-même « musique concrète ».
Situé à Paris et succédant au Studio d’essai, le Club d'essai de Pierre Schaeffer, rejoint en 1949 par Pierre Henry, deviendra le Groupe de Recherche de Musique Concrète (GRMC) en 1951, installé à la Radiodiffusion-télévision française (RTF).
Pierre Schaeffer se servira de l’étude et du classement des sons pour bâtir ce qu’il nommera les objets musicaux.
Plusieurs compositeurs, parmi lesquels Olivier Messiaen, Pierre Boulez, Henri Sauguet, Darius Milhaud, Philippe Arthuys, Karlheinz Stockhausen ou Jean Barraqué… passeront au GRMC effectuer quelques études concrètes.
Créateur et producteur de radio, où « l’écouter sans voir » fait à la fois le mystère et le succès de ce nouveau moyen de communication, il se lance par hasard et par goût du jeu dans une aventure musicale entièrement neuve, après des mois d’expérimentations et d’observations sur les sons « fixés », que les procédés d’enregistrement lui permettent de réécouter à loisir : matériaux sonores les plus divers disponibles au sein de la phonothèque, abandonnés par les techniciens ou enregistrés par lui. Jouant avec plusieurs platines de tourne-disques, il écrit : « 21 avril 1948 : si j’ampute les sons de leur attaque, j’obtiens un son différent ; d’autre part, si je compense la chute d’intensité, grâce au potentiomètre, j’obtiens un son filé dont je déplace le soufflet à volonté. J’enregistre ainsi une série de notes fabriquées de cette façon, chacune sur un disque.
En disposant ces disques sur des pick-up, je puis, grâce au jeu des clefs de contact, jouer de ces notes comme je le désire, successivement ou simultanément. […] Nous sommes des artisans. Mon violon, ma voix, je les retrouve dans tout ce bazar en bois et en fer blanc, et dans mes trompes à vélos. Je cherche le contact direct avec la matière sonore, sans électrons interposés. »
Il définira grâce à cette expérience le "dispositif acousmatique", mot emprunté à Pythagore qui signifie « perception auditive : celle des sons dont la source est cachée ».
En 1948, Pierre Schaeffer compose sa première œuvre : les Cinq études de bruits. Elle sera créée sur la radio RTF le 5 octobre 1948 dans un « concert de bruits » présenté par Jean Toscane. Ce concert comprenait les pièces suivantes :
Étude n° 1 Déconcertante ou Étude aux tourniquets ;
Étude n° 2 Imposée ou Étude aux chemins de fer ;
Étude n° 3 Concertante ou Étude pour orchestre ;
Étude n° 4 Composée ou Étude au piano ;
Étude n° 5 Pathétique ou Étude aux casseroles.
Pierre Henry le rejoint au Club d’essai de la Radio en 1949. A eux deux, ils sont en France les fondateurs et les exemples de ce mouvement qui durant toutes les années 1950 marquera plusieurs générations. La Symphonie pour un homme seul (1950) restera le concert le plus célèbre de leur collaboration et la première grande œuvre de musique concrète. Plusieurs versions de l'œuvre existent. La première qui comprend 22 titres fut créée à l'École Normale de Musique le 18 mars 1950. Une version plus courte, 11 titres, fut ensuite donnée le 27 mai 1951. Mais c'est la version ballet, créée en collaboration avec Maurice Béjart le 31 juillet 1955 au Théâtre des Champs-Elysées qui donna à l'œuvre son retentissement mondial.
En 1951 le groupe de Pierre Schaeffer devient le Groupe de recherches de musique concrète de la RTF. En 1958, après trois ans passés à l’écart du groupe, Pierre Schaeffer le reprend en main et met en place sa réorganisation administrative, esthétique et morale. Le G.R.M.C. devient le G.R.M.. Pierre Henry s'en va et Luc Ferrari, Iannis Xenakis, François-Bernard Mâche, Bernard Parmegiani, Ivo Malec, François Bayle, etc. se joignent à Pierre Schaeffer qui voulait poser les postulats de la recherche qu’il nommait déjà « l’expérience musicale ».
De son côté Pierre Henry poursuit un chemin solitaire et fonde le premier studio privé de musique concrète, Apsome, en 1960. Dès lors son parcours est semé de concerts réunissant un public de plus en plus vaste : Messe pour le temps présent, Le Voyage, L’Apocalypse de Jean, Futuristie, Messe de Liverpool…
Durant les années cinquante, nombre de compositeurs traditionnels ou d’avant-garde de l’époque, de Darius Milhaud à Iannis Xenakis, d’Olivier Messiaen à Edgard Varèse, d’Henri Sauguet à Pierre Boulez viennent s’initier à la pratique de la musique concrète auprès de Pierre Schaeffer. Au même moment, des compositeurs investissent à l’étranger les studios de composition électronique : Karlheinz Stockhausen à la WDR de Cologne (Gesang der Jünglinge, 1956), Luciano Berio à la RAI de Milan (Thema-Omaggio a Joyce, 1958).
Aux États-Unis, l’expérience des sons fixés prend une tournure plus technique, avec les recherches de Max Mathews sur la synthèse sonore par ordinateur dans le laboratoire de la compagnie Bell Telephone à Murray Hill, mais aussi les tentatives d’Otto Luening (Fantasy in space, 1952) et Wladimir Ussachevsky (Incantation, 1953) au Columbia-Princeton Music Center de New York…
En France, se crée bientôt un véritable vivier de compositeurs purement acousmatiques : François Bayle (Espaces inhabitables, 1967), Pierre Boeswillwald (Sur les chemins de Venise, 1983), Michel Chion (Requiem, 1973), Christian Clozier (Quasars, 1980), Luc Ferrari (Hétérozygote, 1964), Jacques Lejeune (Parages, 1974), Bernard Parmegiani (De natura sonorum, 1975), Jean-Claude Risset (Mutations, 1969), Alain Savouret (L’Arbre et coetera, 1972)…
On retrouvera ensuite les influences de cette démarche en musique électronique et en informatique musicale, et chez d'autres théoriciens de la musique du xxe siècle. Edgar Varèse fut un grand partisan de ces recherches sur le sonore et les utilisera dans son [Poème électronique] (1958). Le travail des Beatles ou des Pink Floyd dans les années 60 et, encore récemment, le goût des musiciens électroniques pour le son d'origine acoustique capté par microphone (tel qu'il est souvent réalisé en musique concrète) ont favorisé une renaissance de la musique électronique : Christian Fennesz et Francisco Lopez, entre autres, utilisent beaucoup de techniques empruntées à la musique concrète.
L’art acousmatique aujourd’hui
Soixante années de recherches, de réflexions et de production, quatre générations marquantes de compositeurs, des œuvres dont certaines sont déjà des « classiques », une production discographique éloquente signent la vitalité d'un genre malgré tout vierge de tout académisme. Influencés et stimulés par l’exemple de Pierre Schaeffer et par celui des pionniers de la musique électronique, de nombreux autres pays ont créé leurs studios. En 1970 Françoise Barrière et Christian Clozier fondent le GMEB, groupe de musique expérimentale de Bourges, catalyseur de la production électroacoustique mondiale et plus particulièrement dans les pays de l’Est, l’Europe du Nord, Cuba et l’Amérique du Sud. Grâce à l’existence de classes de composition au sein des conservatoires et des universités, la pratique de l’art acousmatique connaît un fort développement dans les pays suivants : France (avec Marcel Frémiot, Guy Reibel, Denis Dufour, Philippe Mion, Horacio Vaggione…), Canada (avec Francis Dhomont, Robert Normandeau, Louis Dufort), Belgique (avec Annette Vande Gorne), Royaume-Uni (avec Denis Smalley), Autriche (avec Dieter Kaufmann), Allemagne (avec Karlheinz Stockhausen, Hans Tutschku), Brésil (avec Jorge Antunes), Argentine (avec Francisco Kröpfl…) Italie (Roberto Doati, Agostino di Scipio…), mais aussi Pologne, Hongrie, Suède, Norvège, Amérique du Sud, États-Unis, Japon…
L’acousmatique compte aujourd'hui de nouvelles générations de créateurs et des dizaines de compositeurs œuvrant dans un fourmillement de styles, d’univers, et de démarches parfois fort éloignées des idées premières de Pierre Schaeffer… (voir plus bas liste de compositeurs). Jouant d’une technologie en perpétuelle évolution, ces créateurs se reconnaissent sous différentes appellations, dont la multiplicité un peu déroutante traduit à la fois le dynamisme et la (relative) nouveauté du genre.
Aujourd'hui, le travail de composition de Michel Chion, qu'il nomme lui-même encore très volontairement « musique concrète », manifestant par là son attachement à un genre musical toujours plus que vivace (Diktat, Requiem, La Tentation de Saint Antoine, L'Isle Sonante, La vie en prose…), de François Bayle (L'Expérience Acoustique, Erosphère, Son Vitesse-Lumière, Motion-émotion, Univers nerveux…), de Denis Dufour (Bocalises, Notre besoin de consolation est impossible à rassasier, Bazar punaise, Chanson de la plus haute tour, Voix Off…), de Pierre Henry bien sûr, tout comme le travail très poétique de Bernard Parmegiani, Francis Dhomont, Luc Ferrari, Christian Zanési, Bernard Fort, Michèle Bokanovski, Patrick Ascione, Christine Groult, Marc Favre, Lionel Marchetti, Éliane Radigue, Jean-Marc Duchenne, Eric Mulard… pour ne citer que quelques compositeurs français, est un bon exemple de la vigueur sans cesse renouvelée de la musique concrète, tant chez des compositeurs de haute maturité que chez d'autres, plus jeunes, qui élèvent habilement cet idée d'un art du haut-parleur lié à l'enregistrement du son, à la hauteur des ambitions initiales de Pierre Schaeffer…
Une expérience aux multiples prolongements
Le monde de la composition instrumentale contemporaine est le premier bouleversé par l’expérience de la musique concrète. Des compositeurs tels que Iannis Xenakis, Ivo Malec,François-Bernard Mâche et Denis Dufour ont été puissamment influencés dans leur style et dans leurs idées musicales par des idées de morphologies et d’écriture venant de leur pratique du studio. Le « sillon fermé » s’insère peu à peu dans le vocabulaire musical contemporain et on ne peut nier que les compositeurs américains minimalistes (Steve Reich,Phil Glass, Terry Riley, La Monte Young…) aient été à leur tour inspirés d’abord dans leurs œuvres pour bande puis dans leurs œuvres instrumentales par l’idée de « boucle », mais aussi nourris de tout un savoir-faire de studio. Les possibilités décuplées d’intervention et de distanciation par rapport au temps musical qu’offre le studio ont produit des œuvres singulièrement nouvelles, et ce changement de paradigme se fait encore sentir dans la production actuelle.
Les sériels et post-sériels sont les plus longs à réagir et à admettre qu’une nouvelle musique peut se penser et se créer avec un comportement, un matériau, une démarche différente.
C’est dans les années 1970 qu’une nouvelle école esthétique voit le jour en France, se revendiquant des recherches de Pierre Schaeffer sur le son (mais non de la musique acousmatique), l’école spectrale, qui s’inspire de la structure acoustique du son (ses harmoniques, son spectre) pour appuyer le choix des hauteurs, la définition de la forme et l’orchestration de l’œuvre.
Jean-Michel Jarre revendique quant à lui sa filiation avec le GRM, après avoir suivi quelques mois la classe de Pierre Schaeffer au Conservatoire national supérieur de musique de Paris à la fin des années 1960. On retrouve de semblables avatars musicaux outre-Rhin avec Klaus Schulze (inspiré par Karlheinz Stockhausen), Tangerine Dream et le groupe Kraftwerk des débuts. Dès la fin des années 1960, les séquences « planantes » et les effets sonores de studio envahissent la production pop : les Beatles (Revolution 9), les Pink Floyd (The Dark Side of the Moon), Can et plus radical encore Faust, mais aussi le Velvet Underground et Soft Machine… jusqu’à la variété internationale actuelle la plus hégémonique (Michael Jackson)!
Au début des années 1990 apparaît la Techno (musique électronique), dont les DJ’s, à la fois animateurs, techniciens et maintenant musiciens revendiquent aujourd’hui pour certains l’héritage de Pierre Schaeffer et de Pierre Henry (qualifié à 70 ans sur la couverture d’un magazine de « plus vieux DJ du monde »).
Quant aux musiques d’application -commerciales et/ou publicitaires, d’illustration sonore pour la télévision, la radio, le théâtre ou le ballet, les bandes-son de courts ou de longs métrages, les « sonals », jingles et autres gimmicks sonores), elles ne sont pas les dernières à s’être emparées des possibilités expressives du son découvertes par le travail d’exploration et de défrichage des alchimistes de l’acousmatique.
Un nouveau genre de mélomane
Un nouveau public voit le jour depuis les premiers auditeurs qui assistèrent le 18 mars 1950 au concert historique de musique concrète à l’École normale de musique de Paris, en passant par la large audience des « grands-messes » de Pierre Henry ou de Stockhausen.
Dans les années soixante, sous l’influence de Karlheinz Stockhausen et de Pierre Henry, titillés par l’intrusion de nouvelles couleurs et des spectaculaires effets de studio dans leur univers musical, les adeptes de la pop music se joignent – parfois massivement – aux auditeurs de la musique électroacoustique.
Bénéficiant pour partie de la reconnaissance tardive accordée par les médias et le public cultivé au répertoire de ce siècle, la « musique pour bande » draine aussi un public curieux d’expériences musicales nouvelles. Enfin le travail de sensibilisation mené dans les écoles et les conservatoires en France porte ses fruits, et on rencontre de plus en plus de gens pour qui la découverte d’œuvres nouvelles ne se déduit pas nécessairement des stéréotypes de la consommation de masse, ni d’un quelconque carcan culturel, mais tout simplement du plaisir de l’exploration, de la jouissance sensorielle brute – et presque instinctive – du son. À travers des œuvres qui ne font en rien appel à une culture ou à un background obligé, ni à des références nécessitant de longues études musicologiques, ceci malgré une facture élaborée dont le raffinement et la richesse n’ont rien à envier aux œuvres des polyphonistes les plus subtils.
Plus que dans la nouveauté des sons et des timbres, la nouveauté radicale de l’art acousmatique gît dans la possibilité de fixer ces sons et de les réécouter autant que nécessaire au cours du travail, afin d’agir sur leurs caractères propres (attaque, timbre harmonique, grain, allure, dynamique, etc.), et enfin de livrer l’œuvre aux auditeurs, sans que ceux-ci aient accès aux sources « réalistes » (causales, anecdotiques) des sons. La dimension auditive pure est directement sollicitée. En l’absence de stimulation ou de distraction visuelle parasite, seul le son parvient à la perception et l’imaginaire entre en jeu alors librement. On peut dès lors abandonner toute référence musicale antérieure, pour peu que l’on joue le jeu de cette sorte d’"immersion". Pierre Schaeffer écrit ainsi dans le Traité des objets musicaux : « Telle est la suggestion de l’acousmatique, nier l’instrument et le conditionnement culturel, mettre face à nous le sonore et son possible musical ».
Afin de vous initier à la musique concrète nous vous suggérons, ici, d'écouter trois pièces majeures de ce genre...
Pierre Schaeffer
Étude aux Chemins de Fer (1948)
Wladimir Ussachevsky
Pièce pour Magnétophone et Bandes (1958)
Jean-Claude Risset
Mutation (1969)
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